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« Les images qui surgissent derrière les paupières closes doivent être regardées et colorées, et non détruites en ouvrant les yeux et en regardant des choses secondaires. Derrière les paupières closes reposent de nouveaux horizons. »

-Ficht Tanner, 1972

Éditorial

«Je veux souligner les possibilités et laisser de côté les impossibilités», écrit Ficht Tanner en 1979.

 

L’œuvre de Ficht Tanner tient du fil tendu entre musique et image, entre improvisation et composition, entre l’intime et l’universel. Depuis plus de cinquante ans, Ficht Tanner tisse un langage artistique d’une rare intensité, où la broderie devient partition, le dessin se fait mélodie et la contrebasse dialogue avec les couleurs. Artiste suisse inclassable, ancré dans ses paysages natals de l’Appenzell et pourtant parfaitement cosmopolite, il trace un chemin libre à la croisée de l’art brut, du surréalisme et de l’art textile contemporain.

Pour la première fois en France, et après deux rétrospectives en Suisse, son œuvre absolument unique franchit les frontières helvétiques et prend place au Centre international du surréalisme et de la citoyenneté mondiale – Maisons André Breton & Émile Joseph-Rignault, dans le cadre de l’exposition itinérante L’Etoffe des rêves : aux frontières de l’art brut et du surréalisme, l’art textile, co-organisée par le musée de Saint-Cirq-Lapopie et par la Halle St Pierre à Paris. 

Cette exposition est née d’une rencontre et d’un désir partagé : celui d’offrir à l’œuvre de Ficht Tanner une visibilité nouvelle, à la hauteur de son éclat singulier. 

« Lève les yeux, et habille-toi des tissus de ta vision », écrivait pour lui-même déjà en 1976 Ficht Tanner, l’artiste appenzellois hors norme. Nous sommes heureux de pouvoir aujourd’hui faire partager à un large public sa si délicate invitation. 

Soulignons que cette exposition a failli ne jamais ouvrir ses portes : le 3 mars 2025 à 21h15, un incendie se déclare dans la Maison André Breton. La destruction d’une salle remet en cause la tenue de cette exposition. Un projet de recherche d’un an conduit conjointement avec la Halle Saint-Pierre à Paris avait pour intention de traiter d’un sujet inédit : la place du médium textile dans les créations d’art brut et du surréalisme. Dans l’attente d’une possible réouverture aux publics de la Maison André Breton, cette première exposition internationale de Ficht Tanner constitue donc également une première partie du cycle d’exposition « L’étoffe des rêves ».  La seconde partie de l’exposition en 2026, enrichie d’une prochaine exposition monographique, sont attendues en 2026. 

Clément Gaësler

Conservateur du Patrimoine,  Centre international du surréalisme et de la citoyenneté mondiale,  Maisons André Breton et  Émile Joseph-Rignault, Saint-Cirq-Lapopie.

Camille Noé Marcoux & Tania Sanabria 

Spécialistes de l’artiste & commissaires associés de l’exposition

Entre fils et notes

« J’aime écouter la musique, les sons et la langue comme des formes musicales colorées ».

Le fil comme trait, la musique comme couleur. L’artiste autodidacte Ficht Tanner, né en 1952 dans le village suisse de Trogen niché tout à l’Est du pays dans les montagnes de la région pastorale de l’Appenzell, investit le Centre international du surréalisme et de la citoyenneté mondiale avec une exposition immersive où se rencontrent broderies, dessins, poésies et musiques. Connu pour son approche artistique intuitive et expérimentale, il dessine, joue de sa contrebasse et brode à sa machine, toujours guidé par l’improvisation libre. Il capte l’énergie de l’instant présent, cultivant cet acte spontané au plus profond de son être.

Cette rétrospective s’inscrit dans le cadre de l’exposition collective itinérante L’Etoffe des rêves : aux frontières de l’art brut et du surréalisme, l’art textile. Elle offre une plongée inédite dans l’univers de Ficht Tanner, où kilomètres de fils de coton colorés deviennent des paysages vibrants et où la musique se transforme en motifs graphiques. De ses premières œuvres des années 1970 à ses créations récentes, l’exposition révèle un dialogue fascinant entre matière textile et musicalités graphiques.

Un parcours artistique hors normes

« C’est en jouant de la musique en autodidacte, en improvisant sur ma contrebasse, que l’inspiration m’est toujours venue pour dessiner et broder ».

Dès son plus jeune âge, Ficht chante et joue de la musique, se laissant guider par son oreille et  son « œil intérieur ». Il perçoit depuis toujours les sons de son propre chant comme des « images sonores » : « Lorsque je joue de ma contrebasse en fermant les yeux, les sons sortent spontanément en prenant des formes et des couleurs ». Dans les années 1970, alors assistant de l’artiste bernois Rudolf Mumprecht, il développe un langage graphique singulier et crée ses propres alphabets. En 1981, il fonde avec Töbi Tobler son groupe d’improvisation folk jazz et rock « sans coutures », Appenzeller Space Schöttl, avec lequel il sillonne l’Europe jusqu’aux début des années 2000. 

Ses broderies, réalisées sans dessin préparatoire, naissent dans un flux spontané, où chaque point est une note, chaque fil une mélodie. L’approche artistique instinctive et sensible absolument unique de Ficht Tanner, donne naissance à des œuvres vibrantes, à la croisée de l’art textile et de l’abstraction musicale, qui révèlent à nos regards la floraison de son herbier cosmique

Parcours de l’exposition 

Pensées brodées

Dans cette première section, Ficht Tanner nous plonge dans l’univers de sa broderie. Assis chaque jour devant sa machine à broder, il laisse libre cours à une improvisation spontanée qui transforme le mouvement de l’aiguille en une conversation intime. Sans dessin préparatoire, chaque œuvre textile naît comme une réponse à ses improvisations musicales chantées et jouées à sa contrebasse, révélant ainsi la richesse de ses « pensées brodées » et la floraison de son herbier cosmique.

« Ficht Tanner : Une étreinte textile »

À travers son court-métrage documentaire, le réalisateur Ayoub Aboulhaiba invite le spectateur à une rencontre privilégiée avec l’artiste, dans son atelier et son espace de vie. Ce documentaire, empreint de délicatesse, révèle les liens profonds qui unissent la biographie et la création. Pour saisir la puissance imaginative de cette œuvre, le réalisateur a choisi de traduire visuellement la naissance des images dans l’esprit de l’artiste, jusqu’à la transformation des matières qu’il façonne, rendant ainsi palpable la dimension onirique et vibrante de son art.

Un univers en constellation

Les créations de Ficht Tanner forment un cosmos où chaque médium se répond. Cette section souligne la symbiose entre le geste du dessin à l’encre et celui de la broderie, mais aussi de la poésie, illustrant comment l’inspiration, née de la musique, se décline en un ensemble de formes qui, tel un univers en constellation, offre un spectacle visuel et sensoriel unique. Chaque pièce témoigne d’une liberté gestuelle qui défie toute tentative de classification ou de lecture symbolique.

L’œuvre graphique

Avant de broder, Ficht Tanner dessine. Cette troisième section retrace le parcours graphique de l’artiste, qui puise son inspiration dans sa rencontre décisive avec Rudolf Mumprecht, célèbre artiste de Berne. Grâce à lui, Ficht Tanner explore dès les années 1970 le dessin à l’encre de Chine comme un espace d’expression libre et instinctif, influencé par la musique et la poésie dadaïste. Ses œuvres dessinées, à la fois abstraites, figuratives et géométriques, témoignent d’un dialogue constant entre la forme et la pensée, où chaque trait traduit l’énergie d’une improvisation artistique spontanée. 

L’œuvre musicale

L’histoire artistique de Ficht Tanner commence véritablement avec la musique. Dès 1972, il fait de la contrebasse son instrument de prédilection et plonge dans un univers sonore libre et expérimental. Son groupe avec Töbi Tobler, Appenzeller Space Schöttl, fusionne les traditions musicales folkloriques suisses avec le free jazz, le rock et l’improvisation pure, enchaînant les concerts en Europe durant près de vingt ans. Aujourd’hui, dans la plénitude de son lieu de vie et de création à Trogen, Ficht Tanner improvise chaque jour des heures durant, à sa contrebasse et accompagné de son chant unique, créant une musique qui se fond avec son dessin et sa broderie, dans un dialogue incessant entre le son et l’image. 

Les Catalogues

Prolongeant le parcours de l’exposition, deux catalogues monographiques sont publiés à cette occasion. Le premier, consacré à Ficht Tanner : Les jeux de rêves première publication en français dédiée à l’artiste –, propose d’approfondir les thèmes principaux de l’exposition. Le second, L’Étoffe des rêves, aux frontières du surréalisme et de l’art brut : la création textile, sur l’ensemble de l’exposition.

Éditions La Rose Impossible, 144 pages, 28 €

Une exposition à voir, écouter et ressentir

A travers cette première rétrospective en France, l’artiste suisse Ficht Tanner apparaît comme un véritable magicien des formes et des sons, un créateur dont l’œuvre, en perpétuel mouvement, échappe aux catégories pour mieux ouvrir de nouvelles voies d’exploration et de rêveries. 

Une exposition à voir, écouter, et ressentir, dans un univers enchanté où la musique se brode et où les fils chantent, à St-Cirq-Lapopie, du 5 avril au 31 août 2025. 

Partenariat à l’honneur

L’étoffe des rêves, aux frontières de l’art brut et du surréalisme : la création textile  a pour intention de réévaluer la notion d’art textile à travers les créateurs issus de l’art brut, de l’art singulier et du surréalisme. 

L’engagement pris lors de cette exposition place le souci de responsabilité écologique, scientifique et économique au cœur de la démarche curatoriale, en privilégiant l’itinérance d’exposition sur le territoire national afin d’en diffuser les résultats (catalogues, supports de médiation…) auprès d’un plus large public, tant rural que métropolitain. 

Ce projet est réalisé grâce au partenariat du Centre International du Surréalisme et de la Citoyenneté Mondiale (CISCM) situé à Saint-Cirq-Lapopie avec la Halle Saint Pierre à Paris. Le commissariat est assuré par Clément Gaësler, conservateur du patrimoine du CISCM et Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint Pierre. L’exposition ouvrira ses portes le 5 avril 2025 à Saint-Cirq-Lapopie avant de partir en itinérance à Paris de septembre 2025 à juillet 2026.

Dans le cadre de ce projet, nous sollicitons institutions partenaires et chercheurs pour collaborer à la diffusion la plus large  de ce travail.